Réfugiés en Roumanie : Timișoara, nouveau hotspot sur la route des Balkans

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Le nombre de demandeurs d’asile en Roumanie a doublé entre 2019 et 2020, et le pays enregistre 1000 nouvelles arrivées chaque mois, concentrées dans l’ouest, à proximité de la Serbie et de la Hongrie. Le point sur la situation avec Flavius Ilioni-Loga, de l’ONG humanitaire LOGS Grup.

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Propos recueillis par Simon Rico

© pressalert.ro

Cet article est publié avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll (Paris)


CdB : Parmi les exilés bloqués sur la route des Balkans, une nouvelle expression a fait son apparition ces derniers mois : le « triangle », pour désigner cette voie qui relie la Serbie à la Hongrie en faisant un crochet par la Roumanie. De votre côté, depuis quand avez-vous remarqué une hausse des arrivées à Timișoara ?

Flavius Ilioni-Loga (F.I.-L.) : Cela a commencé au début de l’automne 2020. On 2019, la Roumanie a enregistré environ 3000 demandes d’asile, en 2020, ça a été 6200, dont la moitié concentrée sur les trois derniers mois de l’année. D’octobre à déembre, on a donc compté 1000 nouvelles demandes chaque mois. Tout les candidats à l’exil se retrouvent à Timișoara, notamment à cause du camp d’accueil pour les demandeurs d’asile. Bien sûr, 6200 demandes d’asile, c’est peu comparé à l’Autriche ou à l’Allemagne, mais pour la Roumanie, c’est un record.

2021 a continué sur la même lancée avec 1000 demandes d’asile en janvier, 1000 en février et un peu moins de 1000 en mars. Pour l’instant, on est donc à un rythme de 12 000 sur l’année, ce qui serait encore un doublement par rapport à l’an dernier. On a participé à une discussion avec le chef de la police, les gens de la mairie de Timișoara et tous les acteurs institutionnels. Certains disent que les arrivées pourraient encore augmenter quand la météo s’améliorera, mais c’est difficile de prévoir car les routes migratoires peuvent changer à tout moment.

CdB : Les personnes à qui vous venez en aide ont-elles tenté avant de passer via la Croatie ou la Hongrie ?

F.I.-L. : Tous les gens avec qui j’ai été en contact ont tenté de passer par la Croatie. La Hongrie moins. La plupart de ceux qui arrivent à Timișoara viennent de Bosnie-Herzégovine. Ils ont tenté de passer la frontière pour entrer en Croatie, mais ils ont été intercepté par la police, qui les a refoulés. Pour certains, ces tentatives se comptent en dizaines. D’autres ont abandonné avant même d’essayer parce qu’ils ont entendu toutes ces histoires qui disent qu’il y a des violences, que c’est de plus en plus dur de passer. De nombreux réfugiés n’en pouvaient plus de ne pas réussir à entrer dans l’Union européenne via Croatie et ils ont décidé de tenter leur chance via la Roumanie, ce qui leur fera faire un détour de près d’un millier de kilomètres par rapport à leur route initiale.

Flavius Ilioni-Loga
© Capture d’écran / Youtube

CdB : Les migrants sont-ils toujours placés en quarantaine à leur arrivée en Roumanie ?

F.I.-L. : Oui. Cette décision a été prise dès novembre 2020, quand la Serbie a été placée sur la liste jaune par les autorités roumaines. Concrètement, cela signifie que toute personne arrivvant de Serbie doit se mettre en quarantaine pendant 14 jours. Ça a été notre point d’entrée dans cette crise. On travaillait avec les migrants avant ça, mais en novembre, les autorités locales se sont rendues compte qu’elles ne savaient pas où placer les gens, qui arrivaient de plus en plus nombreux, en quarantaine. Et ces demandeurs d’asile n’ont bien sûr pas les moyens de s’auto-isoler. Notre ONG, LOGS Grup de Inițiative Sociale, est donc intervenue, parce qu’on trouvait inacceptable que des gens soient laissés à la porte des centres d’accueil officiels. Ici, à Timișoara expliquait que s’il laissait ces gens entrer, il irait en prison. Comme personne ne prenait ses responsabilités, on s’est tourné vers les médias, ils ont couvert ce qui se passait – notamment les mineurs obligés de dormir dans la rue alors que les températures chutaient. Devant l’urgence humanitaire et les réactions publiques, les autorités ont fini par trouver en urgence des solutions d’hébergement pour la quarantaine des réfugiés arrivant sur le territoire roumain.

CdB : Où dorment les exilés à Timisoara ?

F.I.-L. : En ce moment, d’après nos estimations, il y a environ 150 réfugiés, qui dorment dans des bâtiments abandonnés à Timișoara. Depuis février, on essaie de tenir un compte précis, pour mieux prévoir la quantité de nourriture, le nombre de bénévoles dont on a besoin pour faire la distribution, etc. Sur les 38 premiers jours, on a délivré des repars à 700 personnes et chaque nuit, on aide entre 100 et 150 personnes. On remarque donc qu’il y a un important turn over par ici. On peut donc conclure que la plupart des exilés arrivent à passer la frontière vers la Hongrie, et il y a de nouvelles arrivées.

CdB : Les réfugiés vous donnent-ils des détails sur la manière dont ils traversent les frontières ?

F.I.-L. : On ne rentre pas dans de telles discussions, notamment parce qu’on préfère nous concentrer sur l’aide immédiate à leur apporter et que l’on ne veut pas entrer dans des positions qui risqueraient de nous mettre chacun dans une position inconfortable. On aide les exilés à survivre quand ils sont en Roumanie, mais on ne les aide pas à aller là où ils veulent aller, on ne les encourage pas à faire quelque chose d’illégal. À titre personnel, je leur souhaite bien sûr d’être heureux, là où ils veulent être heureux. Et quand on a des nouvelles des gens qu’on a aidés qui nous envoie un message pour partager avec nous leur joie d’être arrivé en France, en Allemagne ou en Italie, forcément, on est content pour eux.

© Libertatea

CdB : Et la police ? Avez-vous des informations sur de potentielles violences contre les réfugiés ?

F.I.-L. : Libertatea a fait une très bonne enquête sur les violences policières avec des photos montrant les marques des coups, les plaies, lescicatrices. Mais nous, on n’a pas vu ça. On a entendu parler de violences policières mais on ne demande pas aux réfugiés d’enlever leur t-shirt pour qu’ils nous montrent s’ils portent des marques de coups.

Bien sûr, on a entendu parler des refoulements, mais nous ne documentons pas ce phénomène. Certains réfugiés nous ont dit que la police les frappait parce qu’ils traversent les frontières sans y être autorisé. Dans ce cas, j’essaie de leur expliquer que c’est une pratique totalement illégale, que la police devrait leur demander s’ils veulent demander l’asile et leur expliquer la procédure et non pas les frapper et les refouler immédiatement. Mais pour eux, ces push backs sont devenus quelque chose de « normal ».

La seule chose qu’on a documenté, ce sont les violences policières commises à Timișoara. Et on a noté deux cas de bavures, que l’on a rendu publics et pour lesquels on a demandé une enquête. La police locale nous a menacé de poursuites judiciaires pour diffamation. Mais on attend toujours de recevoir une lettre du tribunal. Entre temps, l’enquête de Libertatea est sortie. Depuis, les réfugiés se plaignent moins de la police locale.

CdB : Comment réagit la population face à cette hausse des arrivées ?

F.I.-L. : Je tiens à dire ici qu’on est une centaine de personnes à LOGS, que des bénévoles, personne n’est payé. On a un docteur syrien, qui est lui-même réfugié et donne des consultations gratuites. On a des donations de vêtements, de nourriture, des aides financières de particuliers, et c’est grâce à cette solidarité que nous parvenir à aider les réfugiés. De ce point de vue, je dirais que la population réagit incroyablement bien, même si on peut toujours trouver des gens qui se plaignent. Je pense que c’est dû en partie dû au fait que les Roumains, surtout ici à Timișoara, connaissent intimement l’immigration. Le pays connaît lui aussi un fort exode : en Europe, il y a des Roumains partout. Déjà sous Ceaușescu, la plupart des gens fuyait son régime autoritaire, ils allaient à l’Ouest, souvent via la Yougoslavie voisine... Je crois que du fait de cette histoire, les gens ont plus d’empathie.

La solidarité s’organise pour aider les exilés à Timișoara
© Facebook / LOGS Grup de Inițiative Sociale

CdB : Et les médias, comment se positionnent-ils face à cette question des réfugiés ? On se souvient notamment qu’il y avait eu une forte opposition des Roumains en 2016-17 au moment du plan de relocalisation de l’UE, qui était censé soulager les pays du Sud de l’Union européenne – Grèce, Italie et Espagne – en première ligne dans la crise des réfugiés...

F.I.-L. : Je n’ai pas vu dans la presse locale des expressions comme « invasion » ou des choses dans le genre. Digi24 a mis en avant la nécessité de l’aide humanitaire, Libertatea, un mois après son enquête sur les violences policières, a refait un article pour dire que rien n’avait été fait pour régler le problème, et même les chaînes plus nationalistes comme Antenna 3 n’ont pas vraiment joué la carte xénophobe. Mais bon, on parle officiellement d’une centaine de réfugiés dans une ville de 300-400 000 d’habitants, c’est très peu. Forcément, il y a des gens qui s’offensent de voir 20 Afghans dans la rue, qui sont pourtant très polis et qui ne font pas de bruit, pas de vague. Mais globalement, je ne sens pas de rejet particulier.